Chronique du 5 mars 10
De notre naissance à notre mort, nous sommes enfermés dans un Moi impénétrable et impénétré. Nous avons beau essayer de nous livrer, il reste toujours quelque chose que nous ne communiquerons jamais, comme il reste aussi toujours quelque chose qui nous échappe chez autrui.
Dans la mesure où dans toute communication subsiste une part d'incommunicable, nous pouvons éprouver un sentiment tenace d'une solitude à jamais permanente. Et conclure que l'autre demeurera pour moi et que je demeurerai pour lui, une sorte d'inconnu.
Pourquoi alors ne pas assumer vraiment notre solitude et ne considérer de vraiment réel que son destin personnel? La réalité du monde peut finir par se résumer à notre seule réalité. Et la finalité, à notre propre finalité. Nous sommes alors la seule réalité du monde et le seul dieu dans cet univers. La probabilité de son existence devient donc absurde.
Le sentiment de notre liberté peut nous donner davantage encore, l'impression d'être séparé des autres et nous conduire à un réel repli sur soi. Au point de nous convaincre de la réalité de notre solitude voire de sa nécessité pour rester vraiment libre.
Mais ce sentiment de solitude, de séparation et de liberté égocentriste, ne serait-il pas, au contraire, un effet de notre soif d'absolu, de notre désir d'une communication totale avec autrui.
Quelle blessure, quelle expérience de notre conscience pourraient nous amener à éprouver cette soif et à souffrir de ne pouvoir l'assouvir?
Qu'est ce qui nous pousse à cette folie de l'unité absolue ?
Par quel mécanisme en arrivons nous à sentir le monde absurde sous prétexte que nous ne pouvons pas l'étreindre comme nous le souhaitons?
Quelle expérience divine a pu nous transmettre une telle nostalgie d'amour? Cet amour, ce goût de l'autre qui nous pousse sans cesse vers lui. L'autre, cet alter égo inaccessible qui ne cesse de me fasciner au point que je rêve de me perdre en lui, de me fondre en lui.
Notre vie ne serait-elle pas est un compromis d'amour et de liberté. Un balancement entre la sagesse d'aimer et la folie d'être libre. Cette soif d'amour loin de nous conduire à considérer que nous sommes notre propre fin, nous amène au contraire vers ce Dieu où se focalisent notre quête d'amour et le désir de liberté absolue. C'est cette unité improbable et paradoxale d'une humanité fraternelle et libre que nous cherchons. Et faute de la trouver, nous désespérons plutôt que d'essayer d'en construire les prémices.